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Arkea Ultim Challenge | Heure par heure, le récit d'une journée à part

À 13h30, ce dimanche, six skippers se sont enfin élancés sous un soleil éblouissant et des conditions idéales au large de Brest. C’est parti pour ce grand saut vers le large et l’inconnu, 21 600 milles (34 700 km) à travers les océans. Mais avant de hisser la grand-voile et mettre le cap vers le Sud, ils ont offert des émotions en pagaille. Devant une foule venue en nombre, les skippers ont fait le plein d’encouragements avant de partir vivre leur rêve et s’attacher à faire ressentir à tous un incroyable vertige. Retour sur les moments les plus marquants du petit matin jusqu’à cet après-midi.

7h20. L'émulation. Tous ceux qui ont participé à des records autour du monde - Thomas Coville, Charles Caudrelier et plusieurs membres de team - connaissent cette sensation. Le réveil aux aurores, brutal pour les plus anxieux, un peu moins pour les plus sereins. Les mots rares au petit-déjeuner. Le pas pressé pour rejoindre le port, avec le froid qui grignote le visage et les mains, le quart de lune qui nargue les lève-tôt. L'appréhension d'avoir oublié quelque chose, un détail, une certitude. Et puis il y a cette boule au ventre qu'on ne maîtrise pas... La lessiveuse à émotions a déjà commencé alors que tout reste à faire.

8h28. Les vacances. Charles Caudrelier est en zone mixte. Malgré ses cernes, il assure avoir bien dormi « malgré les sorties de boîte de nuit à 5 heures du matin ». Le skipper d’Edmond de Rothschild parle du départ, de l’émotion – « J’essaie de me blinder de ce côté-là » -, le « petit déchirement au moment de dire au revoir aux enfants ». C’est à eux qu’il pense surtout. « Je me dis que je rentre dans un mois et demi, pour les vacances scolaires. Pour la réservation, on hésite : on était parti sur un séjour de surf avec mon fils et ma fille veut venir mais elle n’aime pas le surf… Il va falloir trouver un compromis. Mais ce sera pour la 2e semaine des vacances scolaires ! J’ai mon anniversaire le 26 février, j’espère être rentré d’ici là ! »

 

Le plein de bonnes ondes avant le "top départ"

8h39. Les premières larmes. Jusque là, Éric Péron (ULTIM ADAGIO) tenait bon. Certes, il y avait eu ce réveil vers 5h ce matin, la petite crêpe partagée avec sa fille, les interviews - « J’endosse mon costume de communicant », l’air songeur avant de monter sur scène. Les mots sont choisis, le propos assuré, les phrases plutôt courtes. Après la descente sur les pontons, légèrement gêné par la lumière qui surplombe une caméra, il craque. «_ Avant de partir, j’ai envie de dire ‘Merci à tous’ et souhaiter le meilleur _», lâche-t-il avant de monter à bord.

8h56. Une affaire de pilou-pilou. Anthony Marchand avait annoncé son programme pour sa dernière nuit. Plusieurs journaux l’ont d’ailleurs relaté, popularisant par le même temps un terme visiblement pas connu de tous : le « pilou-pilou », qui désigne un tissu à base de coton. « Ce sera Pilou-Pilou, un plat de pâtes, Netflix et à 20 heures au lit », confiait-il au journal L’Équipe. Précisions (cruciales) offertes ce matin en zone mixte : « Je n’ai pas regardé de film hier soir, mais j’ai eu le temps de traîner en pilou-pilou et de manger un bon plat de pâtes bolognaises avec ma chérie ». De quoi faire le plein en bonnes ondes avant d’affronter la séquence émotion du départ…

 

arkea ultim challenge brest

 

9h03. “Merci beaucoup patron !” Entre deux réponses, Thomas Coville salue le « patron », Olivier de Kersauson, avec qui il a fait ses armes et qui donnera le départ quelques heures plus tard. Hervé Berville, Secrétaire d’État à la mer, se rapproche de « Kersau », interloqué : « Olivier, tu les obliges tous à t’appeler patron ? » Réponse du tac au tac, sourires aux lèvres : « Tu peux m’appeler comme ça aussi ». Ce n’est pas nouveau, le recordman autour du monde (125 jours, 1989) préfère la vérité des marins plutôt que les mondanités. Un peu plus tard, il nous confie : « On vit dans un monde d’impostures et, là, il n’y a que du vrai, c’est extraordinaire. Ça correspond à l’état d’esprit qu’a initié Éric Tabarly, que moi et d’autres ont suivi après… Il n’y a pas plus beau, plus fort, plus violent que cette course. Je suis très heureux et très fier d’être là». Un peu plus tard, Olivier de Kersauson a décompté à la VHF les dix dernières secondes avant le top départ.

9h21. Accolades entre skippers. Armel Le Cléac’h vient de gagner les pontons. Il passe devant Thomas Coville, les deux hommes se saluent. « Protège-toi de ton courage », lui dit Thomas. Tom Laperche est là aussi. « Tu es un bon, toi », lui dit Armel après lui avoir fait la bise. Une poignée de secondes plus tard, Coville et Laperche se tombent dans les bras. Thomas est un ami de la famille Laperche : Tom était monté sur son bateau quand il avait 8 ans. La sonorisation masque leurs mots. Il reste des regards, une image forte, mélange de fierté, d’admiration, d’humilité. Une image d’hommes de mer.

9h53. Les larmes d’un fils. Il a un bonnet vissé sur la tête, un manteau assez large et ne quitte pas Armel des yeux. C’est son fils, Edgar. C’est avec lui, sa fille et sa femme qu’Armel a diné hier. C’est en famille qu’il traverse la foule, descend sur les pontons, comme Charles et Thomas avant lui. Le skipper du Maxi Banque Populaire XI évoque « une émotion ». Son large sourire semble retenir les larmes quand il adresse un dernier salut à la foule. Et puis il y a ces chaudes étreintes avec ses enfants un peu plus loin sur les trampolines de l’Ultim. Edgar ne peut retenir ses larmes. La petite famille fait les quelques pas nécessaires pour se rendre dans le cockpit, dernier moment ensemble, dans l’intimité, avant de se donner rendez-vous dans une poignée de semaines.

 

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10h27. Le départ des pontons. Le Maxi Banque Populaire XI vient de larguer les amarres. C’est le dernier des six bateaux à s’être élancé. On a pu voir, dans le regard d’Anthony Marchand, de Charles Caudrelier ou encore de Tom Laperche, la mine concentrée pour veiller à tout et entrer enfin dans leur course. Thomas Coville a eu du mal à retenir ses larmes, Armel Le Cléac’h a longuement contemplé le ponton et puis les Ultim ont quitté les pontons.

 

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11h30. Le terrain de jeu. Tandis que les derniers bateaux suiveurs quittent la marina du château, les spectateurs s’agglutinent de part et d’autre du goulet. Sur l’eau, dans les zones réservées, les bateaux suiveurs ont pris place et se laisse bercer entre une mer peu formée et un joli soleil d’hiver. Au centre du terrain de jeu, les semi-rigides des teams et de l’organisation veillent à ce que les Ultim aient de l’eau à courir et les coudées franches. À bord des trimarans, on teste une dernière fois l’envoi des voiles d’avant. Il y est sans doute aussi question de météo et de tactique pour aborder la ligne de départ dans les meilleures conditions, tout en se prémunissant d’un départ anticipé et donc d’une pénalité. Avec 40 jours (plus ou moins) de mer à venir, ce n’est pas nécessaire de jouer avec le feu sur la ligne de départ.

 

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13h22. Le décompte. Garante du temps qui passe, la direction de course poursuit la procédure de départ : il reste 8 minutes avant l’attaque de la ligne, 4 pour que les skippers se retrouvent seuls à bord. Tour à tour, les derniers équipiers encore à bord se jettent à l’eau en combinaison sèche, avant d’être récupérés par leurs semi-rigides respectifs.

13h26. Seuls.. Charles Caudrelier, Armel Le Cléac’h, Thomas Coville, Anthony Marchand, Tom Laperche et Éric Péron sont désormais seuls à bord. Grand-voile haute, au vent arrière, ils progressent doucement vers la ligne, faisant face au monde entier. Un destin.

 

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14h00. Là-bas, au large. Les six multicoques font route à l’ouest. Désormais au large, ils trouvent les premiers vents à plus de 15 nœuds. Edmond-de-Rothschild est le premier à voler, bientôt imité par Sodebo.

16h45. Caudrelier mène la danse. Après 3h15 de course, les plus rapides ont déjà vu s’afficher des vitesses à plus de trente nœuds. Surtout, chacun a choisi ses premières options. Une cinquantaine de milles séparent déjà Thomas Coville, le plus à l’est d’Anthony Marchand, le plus à l’ouest. Le Maxi Edmond-de-Rotshchild menait la danse au classement de 16h45 depuis sa position médiane, devant le Maxi Banque Populaire XI, très à l’est également et SVR-Lazartigue, adepte d’une ligne plus occidentale.

La première nuit. Les côtes espagnoles au réveil. Lundi matin, la flotte devrait déjà en avoir fini avec le golfe de Gascogne. La nuit s’annonce donc studieuse. « Tactiquement, il y aura quelques empannages à faire dans les premières heures pour gagner dans le Sud, mais ce ne sont pas les conditions les plus difficiles pour le faire, décrypte Franck Cammas qui a commenté le départ. Ce soir, ils devraient faire un bord un peu plus au large. A priori, les routages font aller vers le Cap Finisterre et pas forcément partir vers des options extrêmes à l’Ouest avec de la mer et du vent ». En somme, pour le marin, ces « premières 24 heures s’annoncent assez faciles à gérer ». Et il ajoute, dans un éclat de rire : «Il ne faut pas oublier qu’ils seront déjà au large des côtes espagnoles dès demain, ce n’est quand même pas rien ! »